Les entreprises face à la COVID-19 : la gestion collaborative en contexte de bouleversement

9 novembre 2022

Dans la première partie de l’article, nous avons abordé la flexibilité dont les entreprises doivent se doter pour passer au travers dune crise comme celle de la pandémie de COVID-19.

À cet effet, plusieurs organisations ont donc amorcé, ou veulent amorcer, une réflexion sur lutilité de se réinventer et ont, pour certaines, emprunté le chemin dun mode de gestion plus « démocratique ». On entend par là une structure où les employés travaillent au sein d’équipes plus autonomes. Au-delà de la formule « fourre-tout » de management quest lentreprise libérée, il y a divers modes de gestion permettant la mise en place de pratiques collaboratives sans toutefois abolir les postes de gestion. Pour ne donner que quelques exemples, on peut entre autres penser au mode de gestion agile, d’holacratie ou encore de sociocratie.

Lidée de la mise en place de pratiques sous un mode de gestion plus agile, flexible et collaboratif permet essentiellement une plus grande et plus solide coopération entre les acteurs, peu importe le service auquel ces derniers sont rattachés, lobjectif étant le même pour tous : faire progresser lorganisation. Le fait douvrir à tous les employés la possibilité de participer à la résolution des problèmes permet non seulement de multiplier les occasions davoir accès à plusieurs idées différentes, mais aussi de partager les décisions et den assurer une mise en application efficace.  

Dans un monde de plus en plus complexe, les entreprises ont un besoin croissant dagilité pour être en mesure de répondre efficacement et rapidement aux changements qui s’opèrent dans leur contexte concurrentiel. Il est indispensable de donner de plus en plus d’autonomie à qui se trouve en première ligne. En même temps, il faut assurer une ligne stratégique cohérente et l’alignement des ressources de l’entreprise. Pour faire le lien avec la pandémie, par exemple, on a pu assister, dans la réponse globale, à la crise à deux opposés : d’un côté, des gouvernements centralisés qui ont souvent réagi avec retard et confusion à une situation en évolution trop rapide pour leur capacité de réaction, et de l’autre, des populations mal informées qui ne comprennent pas toujours la gravité de la crise et adoptent des comportements favorisant la diffusion du virus.  

La sociocratie : un outil bienveillant

Au bénéfice de cette deuxième partie de larticle, portons notre attention sur la sociocratie. Essentiellement, la sociocratie est une façon de gérer les organisations de façon efficace sans que le pouvoir ne soit uniquement entre les mains de la haute direction, et plutôt dans un mode où les équipes sont auto-organisées et où les décisions sont prises à plusieurs niveaux de lorganisation. Le principe qui sous-tend le fonctionnement de la sociocratie est donc la liberté dagir et dexpérimenter quon accorde à lensemble des employés et la responsabilisation commune des acteurs. Il sagit en fait de mettre lintelligence collective au centre des préoccupations et des actions. 

Ainsi, dans ce mode de fonctionnement, tous les employés peuvent, par l’entremise d’une ou plusieurs participations à des cercles de décisions (projets), contribuer à l’amélioration du fonctionnement de l’ensemble de l’organisation. Les compétences de chacun sont alors mises à profit dans différents contextes pouvant être très diversifiés et donc très stimulants. Les compétences des membres de l’organisation sont d’ailleurs au cœur de l’approche « sociocratique ». De plus, un des outils de gestion que l’on peut adopter en sociocratie est l’élection sans candidat, utilisée pour assigner un membre de l’équipe à un rôle donné. Dans ce processus, les membres du cercle s’accordent sur la liste des compétences techniques et comportementales nécessaires pour assumer le rôle en question et procèdent ensuite à la sélection de la personne la plus apte. Cette élection, cependant, n’est pas basée sur des candidatures, mais sur des nominations : chacun propose un candidat et explique son choix. Différentes étapes sont définies pour converger sur une proposition unique.

Cela nécessite un peu plus de temps que dans une structure de type hiérarchique, mais ce manque à gagner est vite repris par l’implication accrue des employés qui les mobilise et qui les mène vers un plus grand sentiment de bien-être, donc vers plus de productivité.

Une philosophie libératrice

La sociocratie est un outil libérateur pour les entreprises et pour leurs employés. En effet, elle permet de combiner, dans un tout cohérent, la recherche de profit, la prise de conscience du rôle joué par chacun des acteurs de lorganisation et la création de valeur sociale. Plus précisément et pour bien comprendre, l’archétype des organisations classiques est la machine, conçue avec des mécanismes de transmission des décisions et de contrôle du résultat, maniés depuis le haut de la pyramide hiérarchique. Les entreprises qui cherchent des modèles alternatif, tels que la sociocratie, s’inspirent plutôt des organismes vivants, en essayant de se baser sur une approche de perception-réponse et sur des principes généraux, tels que la transparence, la responsabilité, lefficacité, l’inclusion, la diversité et l’écoute. Le principe de base ici est le consentement : face à une situation, on ne cherche ni la solution parfaite en absolu ni le consensus, mais la solution la plus efficace dans limmédiat et qui ne génère pas d’opposition parmi les personnes concernées. Les responsabilités sont bien définies et quand on assume un rôle, on dispose dune très large autonomie pour prendre toutes les décisions qui simposent. La grande autonomie dont on dispose saccompagne du devoir de prendre conseil.   

Le « non-PDG » (en sociocratie, on abolit les rôles hiérarchiques) dune PME suisse expliquait comment un employé souhaitant travailler dans une autre ville était venu linformer quil avait pris tous les arrangements nécessaires avec les deux équipes pour effectuer son transfert. Il ne lui demandait pas son aval en tant que « non-PDG », il s’assurait simplement qu’il navait pas dobjection particulière et motivée.

Lobjectif de la sociocratie est justement de placer la capacité de décision au niveau le plus bas possible, tout en assurant cohérence stratégique et opérationnelle. Pour ce faire, un des éléments fondamentaux est ladoption dune « raison d’être » partagée et clairement expliquée qui offre une vraie ligne directrice, indispensable dans un contexte où la « chaîne de commandement » nest plus présente.

On peut arriver à ce type d’organisation par différents chemin, tels que l’agilité, issue du développement informatique, ou la Responsabilité Sociale et Environnementale, qui encourage les entreprises à prendre en compte toutes les parties prenantes de leur écosystème.  Un certain nombre d’associations et d’ONG ont adopté la sociocratie ou d’autres modèles similaires dans un élan venant du bas de l’organisation.  Dans les entreprises, au contraire, c’est souvent les fondateurs qui souhaitent adopter un modèle agile et qui les libère des contraintes administratives et de contrôle, pour se dédier à la réflexion stratégique et au développement.  

Les contraintes

Il y a bien sûr des contraintes, et adopter ce style organisationnel n’est pas nécessairement évident pour tous. Dans certains cas, les gestionnaires ont beaucoup de difficulté à abandonner le pouvoir et un rôle qui les définit socialement et résistent au changement par l’obstruction ou la manipulation. Dans d’autres, ce sont les subordonnés qui ont l’impression de ne plus avoir de repères et de direction pour effectuer efficacement leur travail.  En outre, certains peuvent ressentir négativement les processus qui sont mis en place pour assurer la cohérence organisationnelle et qui prennent la forme, par exemple, de réunions très codifiées pour permettre la participation de chacun. En fait, l’adoption d’une structure sociocratique est souvent un parcours de développement personnel autant qu’organisationnel : il faut apprendre en même temps l’autonomie, l’écoute des autres, la pratique et la création de processus formels.  

Avec la collaboration de plusieurs organisations qui ont adopté ce type de structure, Lucia Levato et Roberto Bonino ont développé un outil pour évaluer l’adéquation d’un groupe de travail à adopter une approche de leadership distribué et co-responsable. Ceci permet de mettre en place des séminaires de groupe, du coaching individuel et du co-coaching pour accompagner une transition qui comporte certainement des défis.

Les auteurs

Lucia Levato (coach certifiée ICF et Dr ès sciences) et Roberto Bonino (entrepreneur, chercheur et formateur), sont les fondateurs et consultants en management de l’entreprise Lusval, œuvrant à Paris et Genève. Leur mission est d’aider les organisations et entreprises à prospérer dans un monde en mutation rapide en libérant tout le potentiel de leurs talents divers.

Marie-France Godin, CRIA est consultante stratégiques en ressources humaines chez Go RH. Axée sur le coaching et le développement des individus, elle accompagne les organisations dans la gestion de vos ressources humaines et plus précisément dans une optique de gestion des talents.